Béatrice NICOLLIER-DE WECK
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En général, Bèze parle très peu de Genève dans ses lettres ; il admet que tout s’y déroule normalement, comme il sied à une ville-Eglise qui s’offre en modèle aux autres Eglises réformées. Mais le t. XXIII constitue une exception et une confirmation de cette règle, car 1582 est l’année de la " guerre de Raconis ", soit la première tentative du nouveau duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier, pour s’emparer de Genève. Bèze sollicite les Eglises de France, qui envoient des troupes, cependant que les Suisses s’interposent, à la suggestion du roi de France, entre la Savoie et Genève alliée de Berne. Un arbitrage est prévu, qui fera long feu. Année traversée d’angoisses, qui n’ont pas empêché Bèze de publier le t. III de ses oeuvres théologiques (Tractationes) et une nouvelle édition de son Nouveau Testament gréco-latin cum annotationibus majoribus.
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Grâce à ces documents l'historien, remontant le temps qui le sépare de 1578, peut prendre le pouls du monde d'alors: Genève et Bèze, sont inquiets, car menacés par les troupes du duc de Nemours et par une épidémie de peste qui entraîne la fermeture de l'Académie et la mise en quarantaine de la demeure de Bèze. Le royaume de France est au bord de l'implosion, la maison de Valois étant de plus en plus en butte aux critiques. Les hostilités qui opposent en Allemagne l'aile droite du luthéranisme aux disciples de Mélanchthon, aux Calvinistes et à leur sympathisants se déchaînent et créent des remous qui se font sentir jusqu'à Genève, où l'on saisit très bien les néfastes retombées politiques que ce conflit entraîne pour les Eglisesde France. Aussi s'y livre-t-on, tout en travaillant déjà au projet de la fameuse Harmonia confessionum (1581), à une intense activité typographique visant à dénigrer l'oeuvre de la Formule de concorde dirigée par Andreae et Auguste de Saxe. Parmi ces publications, cette correspondance nous permet de découvrir un traité jusqu'ici inconnu émanant du cercle de Bèze.
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1576 marque un des points culminants de la guerre théologique en Allemagne. Le duc Auguste de Saxe et ses théologiens paraissent déterminés à faire disparaître les réformes non-luthériennes de tout l'Empire. Le projet ne déplaît pas à Maximilien II, mais l'empereur a d'autres soucis : Turcs, Pologne, sa propre succession... Reste l'Electeur Palatin, champion des Réformes, mais il meurt à la fin de l'été 1576. Que vont devenir nos frères, pense Bèze ? Pendant ce temps, en France, c'est la paix de Monsieur, où Bèze ne voit que tromperies. Seul coin de ciel bleu : l'Ecosse, où grandit le futur roi Jacques, nouvel Eliacin. On trouve aussi dans ce volume des détails curieux sur le conflit entre la médecine traditionnelle et l'alchimie, dans lequel Bèze prend parti pour les alchimistes, par amitié pour Hotman et Joseph du Chêne, sieur de La Violette, grands "souffleurs" devant l'Eternel.
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L'année 1575, telle qu'elle apparaît à travers la correspondance de Bèze, semble tissue de fils qui s'entrecroisent: soucis pour les réformés allemands, pourchassés par leurs compatriotes archi-luthériens — nous sommes au coeur de la guerre th©ologique — inquiétudes pour les Eglises de Zurich et de Berne, dont les chefs vont bientôt mourir, Bullinger le 17 septembre et Haller le premier du même mois; angoisses pour la France, où le nouveau roi Henri III s'obstine à refuser une paix toérante, sans parler des autres pays, des Polonais, des Frères de Bohême, des Ecossais, tous si présents dans les pensées de Bèze...